Tantot volage, tantot sauveur

Nicky Larson, appelé en Asie Ryo Saeba et connu de la pègre Tokyoïte sous le sobriquet du City Hunter (le chasseur dans la ville). Personnage de fiction trentenaire présentant les deux côtés d'une même pièce de 100 yens, tantôt volage et tantôt sauveur, l'incarnation la plus élémentaire de ce qui qualifie la gente masculine. Plus que tenté de répondre par l'affirmative à cette question sur mon identité, je me devais de décliner, mon Magnum 357 imaginaire étant vraisemblablement resté au vestiaire. La question de cette jeune femme faisait en réalité référence à un document de la série animée tiré d'un fond d'œuvres d'archives animées et exposé pendant plusieurs semaines au cœur de la vitrine de cette pâtisserie branchée.
Dans le métier de l'expertise graphique, associer les traits de caractère d'une personne physique à un personnage de fiction ou un document d'archive est fréquent, tout comme de se voir raconter les amours de jeunesse pour un personnage télévisuel. Rien de risible ou de critiquable dans tout cela car il est le comble de l'évidence que chaque personnage apprécié est l'une des innombrables facettes qui forment le psyché d'un individu, en particulier quand un enfant devant son poste de télévision emmagasine les codes de bienséance et de droiture, d'amour et d'amitié que lui inculquent ainsi indirectement notre société contemporaine. Chaque personne construit une image rémanente, sorte de photographie partielle floutée mais indélébile de « son » ou « ses » personnage(s) fétiche(s) et, tout comme pour les statuettes des arts premiers, c'est l'usage dudit comportement de ce personnage dans la psychologie spectateur qui en détermine alors la valeur intrinsèque.

L'influence de l'écran sur la rémanence

Dans son ouvrage TV Lobotomie(3), le professeur Michel Desmurget de l'INSERM(4) dénonce sur la base de six mille études cliniques, la capacité de nuisance de la télévision sur la concentration des enfants et selon la durée d'exposition journalière au petit écran, les séquelles professionnelles ou sociales. Quid du plaisir ? Depuis l'antiquité des buveurs d'hydromel, notre société contient indubitablement une part de vice, mais, voit pourtant sa conscience collective croitre de génération en génération au travers du siècle des lumières pour les sciences, de l'aéronautique qui rapprocha les frontières, ou encore de l'informatique qui transforma la planète en un village global. Dans le cas de la question « C'est vous Nicky Larson ? », ce personnage de fiction fut cité en modèle par une étudiante de Science-Politique à Paris et non pas par un caïd des quartiers Nord de Marseille défrayant la chronique dans le journal du soir. Coupons donc court à tout cliché, selon l'INSEE(5), en 2007, 97,3% des Français sont équipés d'un poste de télévision couleur, cet indice d'équipement a d'ailleurs cessé d'être mesuré car considéré comme étant arrivé à saturation.

La seule véritable nuance qui peut exister sur ce concept d'image ne provient donc pas du milieu social ou géographique puisque seuls 2,7% des Français ne sont pas équipés d'un récepteur, mais de l'âge du spectateur et de l'équipement associé. En effet, toujours selon l'INSEE, en 1976, à quelques encavelures de l'arrivée du robot d'acier Goldorak(6), 84% des postes recevaient en noir et blanc quand 14,9% délivraient de la couleur. Nombre de quadragénaires disposent donc d'un souvenir en nuances de gris ponctué de couleur à l'adolescence, quand les trentenaires et plus jeunes générations voient quant à eux un imaginaire exclusivement formaté en couleur.

L'influence de la mémoire sur la rémanence

La persistance d'une série et de ses personnages associés se présente comme dans les relations sociales avec les membres de sa propre famille. L'intervenant ne conserve généralement en mémoire qu'une sélection du meilleur et de l'agréable, floutant allègrement les points de détails pour accéder à l'essentiel du message et des valeurs morales transmises. Il n'existe pas de dogme établi mais des hypothèses fondées sur un raisonnement logique, remises en cause si les conséquences ne correspondent pas à l'observation. Ces observations nous proviennent directement du marché de l'art ou les enchérisseurs vont donner une valeur de plus ou moindre importance à un personnage de fiction. Ce qui lie plus encore la ville de Marseille à notre étudiante parisienne porte sur l'actuel record de vente pour un document d'archive de télévision de Nicky Larson établi et invaincu depuis décembre 2010 au cœur la plus prestigieuse Société de Ventes Volontaires de la Cité Phocéenne.
Le constat est sans appel, le marché de l'art démontre chiffres à l'appui des années que ce sont les références les plus élémentaires de superbe et de charisme qui restent gravés dans les mémoires et pas les éléments annexes futiles réservés à des puristes coupés des réalités du quotidien.

En conclusion

De Paris à Marseille, des élites aux cités, l'illustration type de Nicky Larson n'est pas un Tony Montana dans le film Scarface(7) de Brian de Palma aujourd'hui devenu culte. Notre « chasseur dans la ville » est, au sein de notre image rémanente collective, aisément comparable à un avocat que l'on vient quérir comme un ultime rempart pour assurer sa défense. A la seule différence qu'il est le procureur Harvey Dent dans Batman(8), décidant du sort des « vilains » avec un lancer de pièce,...

… Tantôt volage, tantôt sauveur.